Jusqu'au bout, les
évènements nous surprennent et ces derniers jours nous permettent de bien valider nos acquis dans le "laisses couler, prends le temps, aies confiance et tout
s'enchaînera naturellement !" mais aussi le "tu veux nous offrir a manger ? ok avec plaisir !". On commence à
être bons ! Et heureusement, car l'examen est sans
pitié et de nouveau la
générosité extra-terrestre des turcs nous
déstabilise énormément...
Nous quittons les "anciens" le 28 mars et prenons la direction d'un itinéraire très vague. Notre choix se porte sur la route du sud par la Grèce. Puis, selon les opportunités et le feeling, nos pouces nous emmèneront vers, dans le désordre, la Macédoine, l'Albanie, le Kosovo, la Serbie, la Bosnie, la Croatie, la Slovénie et l'Italie.
Un petit tiraillement nous pique entre le fait de rentrer vite et celui de prendre un peu de temps pour effleurer à peine ces contrées... Mais nous devenons mystiques et la confiance dans
les forces qui régissent le voyage est totale !
Le trajet jusqu'à la frontière avec la Grèce est simple et la pluie va nous filer un bon coup de main: un bus pour sortir d'Istanbul, un thé à l'abri et c'est parti ! Même pas le temps de faire du stop, un homme nous paye un trajet en taxi collectif et un policier nous
dépose à la limite entre les deux pays.
Le propriétaire du taxi collectif parlant français, le chauffeur et le jeune serveur.
Nous succombons à la tentation de planter la tente dans cet endroit insolite. C'est sous les drapeaux et c'est rempli de routiers qui pourront nous embarquer.
A la cafet', une télé diffuse un match de foot où s'affrontent les deux meilleures équipes de Turquie.
Dans cette ambiance, deux minutes s'écoulent à peine que nous sommes déjà pris en main par Necati. Il nous présente Orgün qui va jusqu'en Italie en passant par le ferry Igoumenitsa-Bari, mais pas de soucis, on n'aura pas besoin de billets car ils ont un plan ! Et puis pour fêter ça, il nous offre un repas au "camiyon-restoran".
Necati, dont le fils habite à Paris
"-Pourquoi nous aides-tu de la sorte ?
-Mais parce que vous
êtes là, sans maison, sur les routes depuis longtemps, votre famille est tellement loin qu'ici, c'est moi votre
père ! Et c'est comme
ça, c'est tout !!!"
Que
répondre ? Nous sommes des enfants
obéissants !
Le lendemain matin, un
problème d'approvisionnement d'essence nous retarde. Impossible
d'être à l'embarquement du ferry le soir, nous disposons de 24h.
Nous visitons ainsi les parkings routiers dans les stations services où nous sommes accueillis à bras ouverts. Au bout de 48h, nous comptons
déjà 2
pères et 2 grands
frères.
Nous faisons la
tournée des cuisines ambulantes des camionneurs,
goûtons aux olives du jardin de l'un, au fromage au lait de vache de l'autre, au köfte de la maman du
troisième...
Quand Cam me coupe les cheveux dans un coin du parking, un frisé sorti de nulle part vient nous donner deux grosses poignées de caramels !
Kametju: "-On a de la chance de vous avoir rencontrés !"
Orgün: "-Non, c'est nous qui avons de la chance de vous avoir avec nous !"
Kametju: "- ... Bon ben, on a cas dire qu'on a tous de la chance alors !!!"
Camiyon-restoran, ouvert à toute heure...
Au ferry, il nous faut malheureusement prendre un billet, mais qu'on se le dise,
ça ne se passera pas comme
ça.
Dans le bateau, une cabine est attribuée pour deux chauffeurs.
Très bien.
"-Prenez le ticket le moins cher. Nous dormirons dans nos camions et vous prendrez la cabine. Juste, si ça vous dérange pas, on vous empruntera votre salle de bain 30 minutes."
Puis Orgün revient à un moment:
"-Torino, ça vous va ?"
... et n'importe où !
Le 31 mars au matin, nous débarquons à Bari au Sud de la botte italienne et quittons Orgün et Gürsel, nos deux bienfaiteurs, notre famille turque, pour reprendre la route avec Gürcan. Nous n'avons même pas réussi à leur offrir une bouteille pour les remercier. Orgün s'est presque fâché et quelques secondes, il a eu l'oeil mauvais, nous faisant un peu peur, alors on a gardé notre
présent en regrettant d'avoir encore essayer
malgré leur
précédents refus... Nous sommes un peu mal à l'aise de tout ce que l'on
reçoit, mais il n 'y a rien d'autre à faire que d'accepter...
La créativite du camping sur aire d'autoroute !
Le 1er avril, nous arrivons à Turin et quittons définitivement nos turcs bien-aimés. Il nous reste 250 km à parcourir, nous venons d'en faire presque 2500 en moins de 4 jours, avec 24h de retard !!!
On troque nos routiers contre des commerciaux. C'est ainsi en Europe. Si une compagnie de transport apprend qu'un chauffeur a pris un auto-stoppeur, il peut perdre son emploi. Il faut se couvrir car s'il y a accident, il y a procès et indemnités. En Europe, on verrouille, on normalise, on protège. Voila ce que nous disent les camionneurs français, italiens ou belges. Et puis, les gens des voitures particulières évitent notre regard quand nous les abordons sur le parking. Parfois ils accélèrent, des fois que le son de notre voix ait le temps de leur parvenir. Après la lecture du canard enchainé que le père de Cam nous a laissé (cadeau empoisonné ?), on se demande où l'on a mis les pieds. On sert un peu les dents, mais on lutte: "Ne nous laissons pas envahir par les mauvaises pensées, gardons la confiance, le sourire". Nous savons qu'il y a des gens biens partout.
Comme par exemple Rodrigue, représentant en sac a dos, qui nous fait traverser le tunnel du Fréjus. Puis, nous trouvant sans doute d'une compagnie agréable, propose de nous emmener en Haute-Savoie après son rendez-vous de Modane. Et puis tiens, même jusque devant la porte de chez ma mère à Annecy !
Quel plaisir de pouvoir causer français ! Il nous informe de quelques dernières nouvelles, lois ou histoires récentes de chez nous. Nous faisons des liens avec notre voyage. Il est curieux et intéressé. L'échange est excellent, nous sommes plein d'énergie pour ce retour. Malgré la froideur des voitures qui passent au bord de la route, la boulangère est souriante, la baguette croustillante, les montagnes enneigées et majestueuses, le lac d'Annecy magnifique, comme sur notre album-photo dans le sac.
En fait, pour l'instant, il n'y a pas de transition, pas de rupture, tout coule de manière normale. Quand on est parti, quoi de plus naturel que de rentrer ? C'est dans la logique des choses. Comme d'avoir le mauvais trousseau de clef, celui qui ouvre des portes, mais pas celle de la maison. Encore une surprise... la dernière ? Ou bien est-ce juste pour nous faire traverser Annecy avec notre déguisement de voyage, trouver la ville calme, paisible, porter un regard sur cet endroit que nous connaissons si bien. La sensation est étrange, le sourire colle sur nos visages. Encore un peu de stop, juste une fois, se confronter de nouveau à la froideur de l'espace privé de la voiture, au bourgeois que l'on retrouve. Un jeune, Michaël, annécien depuis 10 jours, nous fait monter.
L'échange est honnête, "je vous emmène là-haut et vous me montrez un petit peu de votre monde, d'ici et d'ailleurs".
"- D'accord, mais autour d'un çay !"
C'est notre premier invité, alors que nous posons tout juste les sacs. Exactement ce que l'on espère pour la suite, pouvoir offrir tout ce qui nous a été offert.
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